On me pose souvent des questions concernant mon métier de concepteur de jeux vidéo. J'ai décidé d'y répondre maintenant que j'occupe ces fonctions depuis deux ans.
L'industrie du jeu vidéo se portant plutôt bien au Canada, 3000 emplois ayant été créés dans ce domaine l'année dernière, plusieurs personnes s'intéressent sans doute à ce domaine. Ce n'est toutefois pas le cas de cette industrie ailleurs dans le monde, où l'on rapporte chaque mois des fermetures de studio. En effet, plus de 11 500 emplois auraient été perdus depuis la fin de 2008. Qu'à cela ne tienne, le Québec tire bien son épingle du jeu dans la tourmente. Si le poste de concepteur de jeux vidéo vous attire, voici quelques réponses aux questions qui m'ont été posées dernièrement.
Q. Est-ce que les concepteurs de jeux vidéo doivent suivre le même cheminement académique et professionnel?
R. Je ne crois pas, je suis même d'avis que c'est le contraire. La diversité des parcours permet à mon avis d'enrichir un département de conception. Il n'est donc nullement nécessaire d'avoir fait le même cheminement que moi. Bien entendu, il existe aujourd'hui des formations plus ciblées, qui permettent d'acquérir des connaissances utiles au métier. Ce n'était pas le cas il y a dix ans. Suivre ces formations est donc un plus, mais pas une garantie d'embauche.
Q. Faut-il être bilingue pour percer dans ce domaine?
R. Pas nécessairement, mais c'est un gros plus. Même si les studios sont constitués en majorité de francophones, plusieurs travaillent avec des clients anglophones et doivent donc échanger avec eux, aussi bien par l'écrit que par l'oral. Si vous n'êtes pas parfaitement bilingue, vous risquez de vous bloquer des portes au niveau de l'avancement. Plusieurs formations de pointe ou conférences étant offertes en anglais uniquement (ex.: Game Developer Conference), vous avez tout intérêt à maîtriser l'anglais.
Q. Quel est l'âge moyen des concepteurs de jeux vidéo?
R. Il m'est difficile de répondre à cette question, mais je dirais que ça tourne autour de 20-40 ans. Dans le studio pour lequel je travaille (Beenox), la moitié de l'équipe est dans la trentaine, alors que l'autre moitié est dans la vingtaine. Encore une fois, je suis d'avis que la diversité est un précieux avantage dans un département de conception. Nous avons tous joué à des jeux à des époques différentes et avons donc vécu des expériences différentes. Je suis donc avis que l'âge n'est pas un facteur déterminant à l'embauche.
Q. J'aime jouer à des jeux vidéo, est-ce un argument suffisant pour être embauché?
R. Pas du tout. C'est à vrai dire le plus faible argument que l'on puisse donner. Au même titre que de dire qu'on a bien des idées. Tout le monde a des idées dans l'industrie. Tout le monde joue à des jeux vidéo. Alors, qu'est-ce qui vous différencie, vous? Je crois que d'autres qualités sont plus importantes si vous souhaitez percer dans ce domaine. Une excellente culture générale est un atout, vous pourriez devoir travailler sur un jeu à caractère historique par exemple. Les recruteurs sont aussi à la recherche de gens professionnels, qui possèdent un bon sens de l'organisation. Et bien entendu, des aptitudes en communication sont nécessaire, vous devez pouvoir communiquer vos idées de différentes manières (oral, écrit, schémas, illustrations, montages infographiques, maquettes 3D, vidéos, etc).
Mise à jour 1: voici de nouvelles questions que j'ai reçues:
Q. Avez-vous des références de livre pour ceux qui voudraient en apprendre plus?
R. Pour être honnête, j'ai très peu lu de livres sur le game design. J'ai lu Theory of Fun de Raph Koster, que j'ai trouvé sympathique. Je me suis récemment procuré David Perry on Game Design, qui est un livre conçu sur mesure pour faciliter les séances de brainstorm ou stimuler la recherche. Je suis resté loin de plusieurs livres trop universitaires à mon goût, comme Rules of Play de Katie Salen et Eric Zimmerman. J'ai tenté de plonger dans quelques-uns, mais ils m'ont profondément ennuyé (j'ai tout particulièrement horreur des livres où les auteurs ne cessent de citer d'autres collègues qui à leur tour les citent dans leurs livres). Par contre, j'adore les livres sur l'histoire des jeux vidéo. Dungeons and Desktops: The History of Computer Role-playing Games de Matt Barton est un must pour les adeptes de jeux de rôle. Power-Up: How Japanese Video Games Gave the World an Extra Life de Chris Kohler permet d'en apprendre beaucoup sur l'histoire de cette industrie au Japon. Grand Theft Childhood: The Surprising Truth About Violent Video Games and What Parents Can Do de Lawrence Kutner et Cheryl Olson s'attaque au jeux vidéo violents de belle manière. Rogue Leaders: The Story of LucasArts de Rob Smith permet de bien voir l'évolution d'un studio de développement à travers ses projets. Smartbomb: The Quest for Art, Entertainment, and Big Bucks in the Videogame Revolution de Heather Chaplin et Aaron Ruby comprend une dizaine de reportages sur des personnalités de l'industrie, que l'on voit sous un jour différent.
Q. Est-ce qu'il y a des logiciels que l'on doit maitriser ou utiliser en tant que concepteur de jeux ?
R. 3ds Max est très pertinent, car même si on l'utilise peu, tous nos collègues artistes l'utilisent. J'ai appris ce logiciel sur le tas au cours de la dernière année et je ne l'ai pas regretté. A vrai dire, si j'avais pu suivre un cours sur ce logiciel, j'aurais été en confiance plus rapidement. Je m'en sers surtout pour créer des maquettes de niveaux. SketchUp est aussi très utile, car il permet plus rapidement de créer des maquettes. Mais à vrai dire, depuis que j'utilise 3ds Max, je ressens moins le besoin d'utiliser ce logiciel. C'est tout de même un bon logiciel à maîtriser, car ce ne sont certainement pas tous les designers qui ont 3ds Max d'installé sur leur poste de travail. Photoshop est aussi un logiciel très utile pour réaliser des ébauches visuelles. Des connaissances de base sont suffisantes. Bien entendu, Word et Excel sont des logiciels que l'on utilise fréquemment, que l'on doit bien connaître. Parmi les autres logiciels qu'il peut être utile de connaître, un logiciel permettant de créer des organigrammes (ex.: Visio) et un autre permettant d'organiser notre pensée lors de brainstorms (ex.: FreeMind) pourraient s'avérer utiles. A vrai dire, l'important est de pouvoir s'adapter au changement et apprendre de nouveaux logiciels rapidement. Vous travaillerez aussi bien entendu avec un engin de jeu, alors aussi bien en essayer quelques-uns (ex.: Valve Hammer Editor). Pour ma part, je travaille avec Goliath, qui est un engin de jeu maison, donc uniquement utilisé par Beenox.
Q. Est-ce qu'il y a d'autres sous-métier qui permettent de rentrer dans une compagnie pour devenir un "vrai" Game Designer?
R. Plusieurs voies sont possibles. J'ai des collègues designers qui ont été testeurs, programmeurs et artistes. D'autres qui proviennent des écoles directement. D'autres qui comme moi n'avaient aucune formation ou expérience, mais qui avaient des habiletés en création et/ou en communication. Et a propos, il existe dans certains studios des postes de designer de niveau, qui permettent d'accéder au poste de designer de jeu. Je ne peux vous en dire plus, car mon employeur ne fait pas la distinction entre ces deux postes.
Mise à jour 2: voici de nouvelles questions que j'ai reçues:
Q. Doit on avoir du talent comme dessinateur?
R. Pas nécessairement. Pour ma part, je n'en ai pas. Si je savais dessiner, j'aurais probablement une corde de plus à mon arc et je pourrais communiquer mes idées différemment. Tout est une question de communication comme je l'ai mentionné ci-haut. Peu importe le moyen utilité, vous devez vous faire comprendre. Cela peut vouloir dire d'utiliser trois manières différentes de communiquer une même idée à trois personnes différentes. Plus vous avez des aptitudes en communication, plus vous aurez de la facilité à vous faire comprendre.
Q. Qui approuve tes idées?
R. J'ai bien entendu quelques supérieurs au niveau créatif, qui approuvent mes idées plus macro. Le processus d'approbation est toutefois au coeur du travail d'équipe. Comme une idée peut avoir des impact dans l'un ou l'autre des départements, elle doit généralement être présentée à divers corps de métier. Une idée simple en apparence peut par exemple poser problème aux programmeurs et demandera à être révisée. Bien entendu, mieux l'idée est présentée, plus les problèmes peuvent être identifiés tôt. Par exemple, j'ai travaillé récemment sur un concept jugé ambitieux, mais je l'ai présenté de sorte que le défi à relever était clair pour tout le monde. Étant donné que les problèmes ont été identifiés dès le départ, tout le monde a mis l'épaule à la roue pour permettre à cette idée de se concrétiser. Aujourd'hui, toute l'équipe est fière du résultat, qui n'est pas si loin de l'idée de base proposée.
Q. Combien de temps tu peux travailler sur l'élaboration d'un nouveau concept avant que celui ci soit accepté?
R. Il m'est difficile de répondre à cette question, ça dépend beaucoup de la complexité de cette idée. Est-ce un élément-clé d'un projet? Du bonbon pour les joueurs? Parfois, je peux passer 6-8 semaines à développer un niveau complet (du design initial au prototype jouable) avant que celui-ci soit accepté et entre en production. Bien entendu, mes supérieurs effectuent un bon suivi de mon travail, de sorte que je ne m'égare pas trop. On s'entend d'abord au niveau macro (en rédigeant par exemple un document d'une page résumant le niveau), puis ensuite on précise le contenu de chacune des sections du niveau, pour aller vers des éléments plus micro.
Q. Habituellement, combien de personnes forment une équipe de concepteur sur un même projet?
R. C'est bien entendu variable selon les compagnies et les projets. Pour ma part, j'ai travaillé sur des projets console qui ont impliqué des groupes de 6 à 10 concepteurs de jeu, pour des équipes de production de 60 à 100 personnes environ. C'est donc dire que 10% de la force de travail est composée de concepteurs de jeu (qui sont également des concepteurs de niveau).
Q. En tant que concepteur, t'arrive t-il de scénariser un projet? Ex: Dialogue, texte, didacticiel?
R. Très peu, puisque nous employons des scénaristes à l'externe, oeuvrant pour la maison mère. Il nous arrive bien entendu de rédiger des dialogues ou les grandes lignes du scénario de notre jeu pour aider les scénaristes à l'externe à saisir ce que nous cherchons à présenter.
Q. As-tu déjà souffert du syndrome de la page blanche, as-tu déjà eu un blocage d'idée, qu'as-tu fait pour t'en défaire?
R. Absolument, mais comme j'ai une multitude de tâches à accomplir, quand je rencontre un bloquant quelconque, je m'occupe autrement (ex.: effectuer de la recherche, intégrer des éléments dans un niveau, faire le suivi de bogues qui m'ont été assignés).
Si vous avez d'autres questions, il me fera plaisir d'y répondre et de mettre à jour cet article.
par François Taddei